L'Or
                                                                         "Je cherche l'or du temps"
                                                                                             André Breton.

Issue de l'antre, ma vie s'inaugura par la force d'un martyr.
Ainsi, je naquis en un curieux pays.
Les hommes jouaient leurs vies pareils à des automates.
Leurs yeux avaient la pupille creuse et les prunelles sans couleur.
Tous avaient entendu parler de l'OR.

Déjà, en mon enfance, m'étaient narrées les résonances titillantes du métal.
Les maîtres du tableau écrivaient : "L'OR, mes enfants, l'OR".
Et sur les ardoises noires nous découvrions les reflets chatoyants de l'OR.
"Algèbre, histoire, science naturelle, orthographe, lecture, vous donneront l'OR et tous ses secrets mes enfants".
Et les maîtres nous adoraient pour l'amour de l'OR, et dans la cour des récréations ils chantaient : "Pourvu que vous puissiez vous assoupir dans le cercueil, pourvu que nos rabots prennent vos exactes mesures, nous travaillons à faire de bons cadavres pour demain, les petits enfants morts, mes enfants, font les meilleurs adultes."
Et nous demandions aux maîtres du tableau : "Quand verrons nous l'OR?"
Et les maîtres nous répondaient : "Oubliez l'enfant..."

Parfois, on voyait des vieillards agiles les bras accrochés aux voûtes des sanctuaires braillaient : "L'OR, mes frères, l'OR".
Et les fidèles invoquaient : "Où est l'OR ?"
Et, pareils aux chiens des caniveaux, les vieillards doux et fanatiques se chamaillaient : "Sur la barbe du Saint Père ! Sur le ventre du Bouddha ! Sous la pierre noire de La Mecque ! Dans les dédales du temple de Jérusalem !"
Et les saints et les sorciers, main dans la main, les popes et les papes, les mollahs et les rabbins, bonzes, moines et bigots, prêtres de toute obédience, firent de la terre un mausolée.
Et des bûchers hallucinés fascinèrent la rage des meutes.

Souvent, vomis par la foule, des bouffons pourpres l'oeil en rut jetaient des pierres jaunes.
Puis, ils s'égosillaient en chantant : "L'OR, citoyens, l'OR".
Et les pantins poursuivaient leur laïus, les dents serrées, la bouche béante : "Aux victuailles nous vous offrirons notre squelette, nos os, notre vie, nous ferons festin des chairs, service, service, et compte du trésor !"
Et de leurs bouches parfois tombait une dent blanche et pointue tel un silex.
Et ces fantoches calcinés se désarticulaient un à un par anathèmes.
"Donnez-moi la clé du palais et j'écarterai la porte où ronfle l'OR."
Mais, dans la tour, le vieux bouffon édenté avait déraciné les cent portes du palais.
Cent reflets assassinés apparurent sur le même miroir.

Toute jeunesse était vouée au soleil orifugé.
En ces heures, en ces années, je sentais mon âme limpide couler en gouttes putrides.
Et le temps s'amoncela.
Quelques mendiants d'anciennes époques me firent la charité : "Tiens, prends donc, enfant trop plein de rides, ce petit sachet de bonbons pour goûter le temps".
Je suçotais ces confiseries, les gravats roses de mon âme, or un jour, dans le recoin blanc de je ne sais quel oeil, je me vis.
Mes compagnons étaient heureux.
Ils avaient trouvé ces précieuses paillettes qui comblent les chemins.
Et ils riaient, et ils avaient pitié de mon dénuement.
Je les observais déjà mort sous le poison virulent des fausses onces.
A ma nudité je dis : "Partons ! J'ai honte de toi !"
"Jamais je n'ai cru que ce qui était arraché aux ronces des sentiers cognés serait de l'OR".

Nous nous en fûmes...
Nous traversâmes des déserts rageurs, des forêts sidérées, des mers écroulées.
De plus en plus sauvages, des chiens des races les plus dangereuses hurlaient derrière les grilles, le regard clair planté sur la gorge.
Un soir, dans une forêt indistincte, la chasse du couchant fût déclarée ouverte, les bêtes de feu fugaces tentèrent de me crever les yeux.
Et des cris de dernier jour allumaient l'angoisse et la terreur dans mon ventre.
Et les collines fauves, et les montagnes rousses, haranguaient mon remords de suicidé.
L'horizon nous guettait tel un tigre.
Et des pythons, au-dessus de tout vertige, montaient droits, crevant les nuages violets d'un ciel étouffé.

A chaque pas, j'étais plus nu qu'un songe d'opprobre.
A chaque pas, derrière les orages scélérats, les arcs-en-ciel décampaient puis se volatilisaient dans un cri sourd.
Guetteur sans pareil, je coursais les aubes et les aurores, je mesurais les hauteurs radieuses du soleil et sur la cime des arbres le vent me basculait à la lune noire.
La glace était mon refuge.
Au guet du temps, je progressais, sans plus aucune trace de pas sur la neige, au guet, coupant le froid de la buée blanche de mes narines.
E
t la ligne des paysages fuyait la moindre de mes approches.

De dépit, dans mon alambic, je préparais des massacres microscopiques et des mascarades de rapines.
Magma jaillit de mes aortes, de vieux incendies rejaillissaient sans cesse, sans cesse éteints par la vague noire des mascarets. Je regrettais les cendres répandues sur les terres et les méandres des fleuves rougeoyaient dans les estuaires.
Des bacilles grosses comme des poignées d'homme nageaient dans les cours d'eau.
Des virus, semblables à des saluts de sémaphore, volaient avec des ailes d'autour entre les nuées assommées.
Et des lumières lourdes martelaient les veines irisées des yeux. De mes deux mains je happais le soleil, et mainte fois mes doigts se recourbaient sur le néant de mes paumes.

J'empruntais des voies inconnues, derrière les falaises de mon esprit, je me soûlais de mirages.
Des paysages se déroulaient sous mon crâne, des rires, des envies, des désordres, feux d'artifice pour des fêtes illusoires.
Je tombais, mon ventre ouvert, ma gueule crispée sur un sourire, apparence!
Au détour d'un sentier une femme, que je reconnus, jaillit hors de mon âme.
"Ecoute moi."
"Je lutte sans arme et sans espoir, et je ne compte pas ma vie." "Ne sais-tu pas que d'un fils, un fils reposé dans l'amas de mon corps, j'ai effacé ma vie."
"C'est pourquoi, je ne crains ni la défaite ni les pleurs."
"Et ce coeur que tu vois est plus âpre au combat que tous les guerriers et chercheurs de l'univers."
"Je n'offre rien, car je n'ai rien que cette présence qui n'est qu'elle, et toute naissance, et toute origine, et toute vie."
Par excès de confiance, je lui coupais la tête, le zèle rengorgeait mes peines, je n'y renonçais pas.
Et plusieurs fois sa tête roula à mes pieds.
L'herbe froissée était bouffie par le liquide des rubis.

Et l'OR, intouchable, imprenable, en million, surgit de la source gravide des ténèbres.

Que je flambe
en cette toute présence !
Mon brasier
sera mon absence ...

                                                                                                                                                            [Joë Ferami]

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