Hugo

| entrada | Llibre del Tigre | sèrieAlfa | varia | Berliner Mauer |

 

 

 

 

[Victor Hugo]
 

La douleur du pacha 
[
Der Schmerz des Pascha]
 
Les châtiments
Les oiseaux gazouillaient
Mon enfance
Satan dans la nuit

 

 

Les oiseaux gazouillaient un hymne si charmant
Si frais, si gracieux, si suave et si tendre,
Que les anges distraits se penchaient pour l'entendre ;
Le seul rugissement du tigre était plus doux ;
Les halliers où l'agneau paissait avec les loups,
Les mers où l'hydre aimait l'alcyon, et les plaines
Où les ours et les daims confondaient leur haleine.

Δ

Les châtiments

Un jour, maigre et sentant un royal appétit,
Un singe d'une peau de tigre se vêtit.
Le tigre avait été méchant ; lui, fut atroce.
Il avait endossé le droit d'être féroce.
Il se mit à grincer des dents, criant : Je suis
Le vainqueur des halliers, le roi sombre des nuits!
Il s'embusqua, brigand des bois, dans les épines;
Il entassa l'horreur, le meurtre, les rapines,
Égorgea les passants, dévasta la forêt,
Fit tout ce qu'avait fait la peau qui le couvrait.
Il vivait dans un antre, entouré de carnage.
Chacun, voyant la peau, croyait au personnage.
Il s'écriait, poussant d'affreux rugissements:
Regardez, ma caverne est pleine d'ossements;
Devant moi tout recule et frémit, tout émigre,
Tout tremble ; admirez-moi, voyez, je suis un tigre!
Les bêtes l'admiraient, et fuyaient à grands pas
Un belluaire vint, le saisit dans ses bras,
Déchira cette peau comme on déchire un linge,
Mit à nu ce vainqueur, et dit : Tu n'es qu'un singe!

Δ 

La douleur du pacha

- Qu'a donc l'ombre d'Allah ? disait l'humble derviche ;
Son aumône est bien pauvre et son trésor bien riche !
Sombre, immobile, avare, il rit d'un rire amer.
A-t-il donc ébréché le sabre de son père ?
Ou bien de ses soldats autour de son repaire
Vu rugir l'orageuse mer ?

- Qu'a-t-il donc le pacha, le vizir des armées ?
Disaient les bombardiers, leurs mèches allumées.
Les imans troublent-ils cette tête de fer ?
A-t-il du ramazan rompu le jeûne austère ?
Lui font-ils voir en rêve, aux bornes de la terre,
L'ange Azraël debout sur le pont de l'enfer ?

- Qu'a-t-il donc ? murmuraient les icoglans stupides.
Dit-on qu'il ait perdu, dans les courants rapides,
Le vaisseau des parfums qui le font rajeunir ?
Trouve-t-on à Stamboul sa gloire assez ancienne ?
Dans les prédictions de quelque égyptienne
A-t-il vu le muet venir ?

- Qu'a donc le doux sultan ? demandaient les sultanes.
A-t-il avec son fils surpris sous les platanes
Sa brune favorite aux lèvres de corail ?
A-t-on souillé son bain d'une essence grossière ?
Dans le sac du fellah, vidé sur la poussière,
Manque-t-il quelque tête attendue au sérail ?

- Qu'a donc le maître ? - Ainsi s'agitent les esclaves.
Tous se trompent. Hélas ! si, perdu pour ses braves,
Assis, comme un guerrier qui dévore un affront,
Courbé comme un vieillard sous le poids des années,
Depuis trois longues nuits et trois longues journées,
Il croise ses mains sur son front ;

Ce n'est pas qu'il ait vu la révolte infidèle,
Assiégeant son harem comme une citadelle,
Jeter jusqu'à sa couche un sinistre brandon ;
Ni d'un père en sa main s'émousser le vieux glaive ;
Ni paraître Azraël ; ni passer dans un rêve
Les muets bigarrés armés du noir cordon.

Hélas ! l'ombre d'Allah n'a pas rompu le jeûne ;
La sultane est gardée, et son fils est trop jeune ;
Nul vaisseau n'a subi d'orages importuns ;
Le tartare avait bien sa charge accoutumée ;
Il ne manque au sérail, solitude embaumée,
Ni les têtes ni les parfums.

Ce ne sont pas non plus les villes écroulées,
Les ossements humains noircissant les vallées,
La Grèce incendiée, en proie aux fils d'Omar,
L'orphelin, ni la veuve, et ses plaintes amères,
Ni l'enfance égorgée aux yeux des pauvres mères,
Ni la virginité marchandée au bazar ;

Non, non, ce ne sont pas ces figures funèbres,
Qui, d'un rayon sanglant luisant dans les ténèbres,
En passant dans son âme ont laissé le remord.
Qu'a-t-il donc ce pacha, que la guerre réclame,
Et qui, triste et rêveur, pleure comme une femme ?... -
Son tigre de Nubie est mort.

Δ 

Der Schmerz des Pascha

Der Derwisch sprach: - Was mag doch Allahs Schatten haben?
Sein Seckel ist so reich, so arm sind seine Gaben!
Ernst, unbeweglich, lacht mit bitterm Lächeln er.
Hat Scharten er gehau´n in seines Vaters Klinge?
Hört die Soldaten er um seiner Feste Ringe
Brüllen, ein sturmbewegtes Meer?

Was ist dem Pascha denn, dem tapferen Visire?
Mit glühn´n den Lunten sprach´s die Schar der Bombardiere.
Stört diesen Eisenkopf mit Drohen der Iman?
Zeigt in den Träumen er vor seinem bangen Blicke
Den Engel Azrael, steh´nd an der Höllenbrücke?
Ob er die Fasten brach des strengen Ramadan?

Was mag er haben? frug der Itschoglau sich leise.
Ob wohl zu Grunde ging auf stürm´scher Meeresreise
Das Schiff mit Weihrauch, das sonst so erfreute ihn?
Ob man in Stambul ihm den Ruhm nicht mehr verzeihet?
Ob die Zigeunerin ihm Unheil prophezeiet?
Ob wohl der Stumme ihm erschien?

Was hat der süße Fürst? So fragten die Sultanen.
Ob er bei seinem Sohn im Schatten der Platanen
Die Favoritin, die braune, getroffen hat?
Ob in des Fellahs Sack, als man ihn nachgezählet,
Ein Kopf, der im Serail erwartet war, gefehlet?
Hat man gewürzet mit Essenzen nicht sein Bad?

Was hat denn unser Herr? So quälen sich die Sklaven.
Sie täuschen Alle sich. - Wenn fern er seinen Braven
Gleich einem Greise, den die Last der Jahre beugt,
Gleich einem Krieger, den traf Schande im Gefechte,
Drei Tage schon und schon drei lange Nächte
Die Stirn auf seine Hände neigt,

So ist´s nicht darum, daß, gleich wie ein Schloß mit Türmen,
In seinem Harem die Empörer um ihn stürmen,
Weil bis zu seinem Bett die Fackel prasselnd fuhr;
Noch weil in seiner Faust des Vaters Stahl gesprungen,
Weil Azrael erschien, im Traum zu ihm gedrungen
Der stumme Sklave mit der schwarzen seid´nen Schnur.

Nein, Allah´s Schatten hat die Fasten nicht gebrochen,
Sein junger Sohn hat die Sultane nicht gesprochen;
Kein ungestümer Sturm brach seiner Schiffe Mast;
In des Tartaren Sack war die gewohnte Fülle,
Nicht fehlet dem Serail, der duftdurchwürzten Stille,
Der Köpfe noch des Weihrauchs Last.
Die Städte sind es nicht, die rot im Brande funkeln,
Die Menschenknochen nicht, davor die Täler dunkeln,
Nicht Hellas, welches von des Omars Sohn verbrannt;
Die Waisen, Witwen nicht, die Tränen nicht der Armen,
Die Kinder hingewürgt in ihrer Mütter Armen,
Die Jungfrau´n, welche er in dem Bazar erstand;

Nein, nein, es sind auch nicht die düsteren Figuren,
Die durch die Finsternis mit blut´gem Strahle fuhren,
Und schreckten seine Brust mit gräßlichem Gebot.
Was hat der Pascha denn, nach dem sich Krieger sehnen,
Der einem Weibe gleich vergeht in Schmerz und Tränen? -
Es ist sein nub´scher Tiger tot.

Δ 

Mon enfance


Voilà que tout cela est passé... Mon enfance n'est plus ;
elle est morte, pour ainsi dire, quoique je vive encore.

Saint Augustin (Confessions)

I

J'ai des rêves de guerre en mon âme inquiète ;
J'aurais été soldat, si je n'étais poète.
Ne vous étonnez point que j'aime les guerriers !
Souvent, pleurant sur eux, dans ma douleur muette,
J'ai trouvé leur cyprès plus beau que nos lauriers.

Enfant, sur un tambour ma crèche fut posée.
Dans un casque pour moi l'eau sainte fut puisée.
Un soldat, m'ombrageant d'un belliqueux faisceau,
De quelque vieux lambeau d'une bannière usée
Fit les langes de mon berceau.

Parmi les chars poudreux, les armes éclatantes,
Une muse des camps m'emporta sous les tentes ;
Je dormis sur l'affût des canons meurtriers ;
J'aimai les fiers coursiers, aux crinières flottantes,
Et l'éperon froissant les rauques étriers.

J'aimai les forts tonnants, aux abords difficiles ;
Le glaive nu des chefs guidant les rangs dociles ;
La vedette, perdue en un bois isolé,
Et les vieux bataillons qui passaient dans les villes,
Avec un drapeau mutilé.

Mon envie admirait et le hussard rapide,
Parant de gerbes d'or sa poitrine intrépide,
Et le panache blanc des agiles lanciers,
Et les dragons, mêlant sur leur casque gépide
Le poil taché du tigre aux crins noirs des coursiers.

Et j'accusais mon âge : - Ah ! dans une ombre obscure,
Grandir, vivre ! laisser refroidir sans murmure
Tout ce sang jeune et pur, bouillant chez mes pareils,
Qui dans un noir combat, sur l'acier d'une armure,
Coulerait à flots si vermeils ! -

Et j'invoquais la guerre, aux scènes effrayantes !
Je voyais en espoir, dans les plaines bruyantes,
Avec mille rumeurs d'hommes et de chevaux,
Secouant à la fois leurs ailes foudroyantes,
L'un sur l'autre à grands cris fondre deux camps rivaux.

J'entendais le son clair des tremblantes cymbales,
Le roulement des chars, le sifflement des balles ;
Et, de monceaux de morts semant leurs pas sanglants,
Je voyais se heurter au loin, par intervalles,
Les escadrons étincelants !


II

Avec nos camps vainqueurs, dans l'Europe asservie
J'errai, je parcourus la terre avant la vie ;
Et, tout enfant encor, les vieillards recueillis
M'écoutaient racontant, d'une bouche ravie,
Mes jours si peu nombreux et déjà si remplis !

Chez dix peuples vaincus je passai sans défense,
Et leur respect craintif étonnait mon enfance ;
Dans l'âge où l'on est plaint, je semblais protéger.
Quand je balbutiais le nom chéri de France,
Je faisais pâlir l'étranger.

Je visitai cette île, en noirs débris féconde,
Plus tard, premier degré d'une chute profonde.
Le haut Cenis, dont l'aigle aime les rocs lointains,
Entendit, de son antre où l'avalanche gronde,
Ses vieux glaçons crier sous mes pas enfantins.

Vers l'Adige et l'Arno je vins des bords du Rhône.
Je vis de l'Occident l'auguste Babylone,
Rome, toujours vivante au fond de ses tombeaux,
Reine du monde encor sur un débris de trône,
Avec une pourpre en lambeaux.

Puis Turin, puis Florence aux plaisirs toujours prête,
Naple, aux bords embaumés, où le printemps s'arrête
Et que Vésuve en feu couvre d'un dais brûlant,
Comme un guerrier jaloux qui, témoin d'une fête,
Jette au milieu des fleurs son panache sanglant.

L'Espagne m'accueillit, livrée à la conquête.
Je franchis le Bergare, où mugit la tempête ;
De loin, pour un tombeau je pris l'Escurial ;
Et le triple aqueduc vit s'incliner ma tête
Devant son front impérial.

Là, je voyais les feux des haltes militaires
Noircir les murs croulants des villes solitaires ;
La tente, de l'église envahissait le seuil ;
Les rires des soldats, dans les saints monastères,
Par l'écho répétés, semblaient des cris de deuil.


III

Je revins, rapportant de mes courses lointaines
Comme un vague faisceau de lueurs incertaines.
Je rêvais, comme si j'avais, durant mes jours,
Rencontré sur mes pas les magiques fontaines
Dont l'onde enivre pour toujours.

L'Espagne me montrait ses couvents, ses bastilles ;
Burgos, sa cathédrale aux gothiques aiguilles ;
Irun, ses toits de bois ; Vittoria, ses tours ;
Et toi, Valladolid, tes palais de familles,
Fiers de laisser rouiller des chaînes dans leurs cours.

Mes souvenirs germaient dans mon âme échauffée ;
J'allais, chantant des vers d'une voix étouffée ;
Et ma mère, en secret observant tous mes pas,
Pleurait et souriait, disant : « C'est une fée
Qui lui parle, et qu'on ne voit pas ! »

Δ

Satan dans la Nuit

I

Je l'aime! – Nuit, cachot sépulcral, mort vivante,
Ombre que mon sanglot ténébreux épouvante,
Solitudes du mal où fuit le grand puni,
Glaciers démesurés de l'hiver infini,
O flots du noir chaos qui m'avez vu proscrire,
Désespoir dont j'entends le sombre éclat de rire,
Vide où s'évanouit l'être, le temps, le lieu,
Gouffres profonds, enfers, abîmes; j'aime Dieu.
Je l'aime. C'est fini. – Lumière; fiancée
De tout esprit; soleil! feu de toute pensée;
Vie! où donc êtes-vous; Je vous cherche. O tourment!
La création vit dans l'éblouissement;
O regard éclatant de l'aube idolâtrée,
Rayon dont la nature est toute pénétrée!
Les fleuves sont joyeux dans l'herbe; l'horizon
Resplendit; le vent court; des fleurs plein le gazon,
Des oiseaux, des oiseaux, et des oiseaux encore;
Tout cela chante, rit, aime, inondé d'aurore;
Le tigre dit: et moi! je veux ma part du ciel! –
L'aube dore le tigre et l'offre à l'Eternel.

Moi seul je reste affreux! Hélas, rien n'est immonde.
Moi seul, je suis la honte et la tache du monde.
Ma laideur, vague effroi des astres soucieux,
Perce à travers ma nuit et va salir les cieux.
Je ne vois rien, étant maudit; mais dans l'espace
J'entends, j'entends dans l'eau qui fuit, dans l'air qui passe,
J'entends dans l'univers ce murmure: va-t'en!
Le porc dit au fumier: je méprise Satan.
Je sens la nuit penser que je la déshonore.
Le tourbillonnement du grand souffle sonore,
Le vent du matin, libre et lâché dans le ciel,
Evite mon front morne et pestilentiel.

Jadis, ce jour levant, cette lueur candide,
C'était moi. – Moi! – J'étais l'archange au front splendide,
La prunelle de feu de l'azur rayonnant,
Dorant le ciel, la vie et l'homme; maintenant
Je suis l'astre hideux qui blanchit l'ossuaire.
Je portais le flambeau, je traîne le suaire;
J'arrive avec la nuit dans ma main; et partout
Où je vais, surgissant derrière moi, debout,
L'hydre immense de l'ombre ouvre ses ailes noires.

Les profonds infinis croisent leurs promontoires.
Tout devant moi, vers qui jadis l'amour vola,
Recule et fuit.

Je fus envieux. Ce fut là
Mon crime. Tout fut dit, et la bouche sublime
Cria: mauvais! et Dieu me cracha dans l'abîme.

Oh! je l'aime! c'est là l'horreur, c'est là le feu!
Que vais-je devenir, abîmes; J'aime Dieu!
Je suis damné!

II

L'enfer, c'est l'absence éternelle.
C'est d'aimer. C'est de dire: hélas! où donc est-elle,
Ma lumière; Où donc est ma vie et ma clarté;
Elle livre aux regards éperdus sa beauté.
Elle sourit là-haut à d'autres; d'autres baisent
Sa robe, et dans ses bras s'enivrent et s'apaisent;
D'autres l'ont. Désespoir!

Oh; quand je fus jeté
Du haut de la splendeur dans cette cécité,
Après l'écroulement de l'ombre sur ma tête,
Après la chute, nu, précipité du faîte
A jamais, à la tombe inexorable uni,
Quand je me trouvai seul au bas de l'infini,
J'eus un moment si noir que je me mis à rire;
La vaste obscurité m'emplit de son délire,
Je sentis dans mon coeur, où mourait Dieu détruit,
La plénitude étrange et fauve de la nuit,
Et je criai, joyeux, triomphant, implacable:
– «Guerre à ces firmaments dont la lumière accable!
«Guerre à ce ciel où Dieu met tant de faux attraits!
«Il a cru m'en chasser, c'est moi qui m'y soustrais.
«Il me croit prisonnier, je suis libre. Je plane.
«Et le démon, c'est l'aigle, et le monde, c'est l'âne.
«Et je ris. Je suis fier et content. J'ai quitté
«Les anges vains, abjects, vils, et toi, la clarté,
«Qui les corromps, et toi, l'amour, qui les subornes!
«O gouffres, quel bonheur que la haine sans bornes!
«Ce Dieu, ce coeur de Tout, ce père lumineux
«Que l'ange, l'astre, l'homme, et la bête, ont en eux,
«Ce pasteur près de qui le troupeau se resserre,
«Cet être, seul vivant, seul vrai, seul nécessaire,
«Je vais m'en passer, moi le colosse puni!
«C'est bien. Comme je vais maudire ce béni,
«Et faire contre lui, tandis qu'Adam l'encense,
«De la révolte avec mon ancienne puissance
«Et de la flamme avec les rayons que j'avais!
«Comme je vais rugir sur lui! Comme je vais,
«Moi l'affreux face à face avec lui le suprême,
«Le haïr, l'exécrer et l'abhorrer!» – Je l'aime!

Δ

 

| entrada | Llibre del Tigre | sèrieAlfa | varia | Berliner Mauer |